5

 

 

Michel trouva un navire qui acceptait de les emmener à Odessa via l’île Moins-Un. L’équipage leur dit que Nirgal devait y être pour une compétition sportive, nouvelle qui combla Maya de joie. Elle éprouvait toujours du plaisir à voir Nirgal, et en ce moment elle avait bien besoin de son aide. Et puis elle voulait voir Moins-Un. La dernière fois qu’elle était passée par là, ce n’était pas une île ; rien qu’une station météo et une piste d’atterrissage sur une bosse, au fond du bassin.

Le navire était une longue goélette fuselée, avec cinq mâts-voiles en forme d’aile. Dès qu’ils furent au bout de la jetée, les mâts-voiles extrudèrent leur surface triangulaire, tendue, puis, lorsqu’ils filèrent par vent arrière, l’équipage déploya à l’avant un grand spinnaker bleu et le vaisseau bondit dans les vagues bleutées, soulevant des gerbes de gouttelettes. Après la noire contrainte des rives du Grand Canal, c’était merveilleux de se retrouver en pleine mer, avec le vent dans la figure et les vagues qui couraient le long des bords. Son cerveau se nettoya de Hell’s Gate et de sa confusion. Jackie, le mois écoulé n’étaient plus qu’une sorte de carnaval morbide que rien ne l’obligerait à revivre. Elle ne retournerait jamais là-bas. La mer était à elle, sa vie était dans le vent !

— Oh, Michel, ça, c’est la vie !

— C’est beau, hein ?

Au bout du voyage, ils devaient s’installer à Odessa, qui était maintenant au bord de la mer comme Hell’s Gate. Ils pourraient donc naviguer quand ils voudraient, pourvu qu’il fasse beau, et ce serait toujours comme ça : plein de soleil et de vent. Des moments éblouissants, le présent vivant. Ils n’auraient jamais d’autre réalité. L’avenir n’était qu’une vision, le passé un cauchemar – ou vice versa –, de toute façon, il n’y avait qu’ici, dans l’instant, qu’on pouvait sentir le vent, admirer les grandes vagues molles ! Maya lui indiqua une colline bleue qui roulait parallèlement à eux, le long d’une ligne fluctuante, et Michel éclata de rire. Ils la regardèrent attentivement, et leur hilarité redoubla. Il y avait des années que Maya n’avait eu à ce point l’impression d’être sur un autre monde. Ces vagues ne se comportaient pas comme elles auraient dû ; elles allaient dans tous les sens, retombaient, faisaient le dos rond, se tortillaient d’une façon que la brise n’expliquait pas. C’était étrange. Étranger. Ah, Mars, Mars, Mars !

Il n’y avait pas de marées, leur dit l’équipage, sur la mer d’Hellas. Cela ne changeait rien pour les vagues. Ce qui comptait, c’était la gravité et la force du vent. En entendant cela, en regardant la plaine bleue qui se soulevait, Maya sentit son esprit enfler de la même façon. Sa gravité était faible, et les vents étaient forts en elle. Elle était une Martienne, l’une des premières Martiennes, elle avait contribué à la mise en eau de ce bassin, participé à la construction de ses ports, permis que des marins le sillonnent librement. Elle y voguait elle-même à présent, et quand bien même elle ne ferait plus rien d’autre de sa vie, ça lui suffirait.

Maya voguait donc, debout à la proue, près du beaupré, la main sur le bastingage, dans le vent et les embruns. Michel s’approcha d’elle.

— C’est bon d’être sortis du canal, dit-elle.

— C’est vrai.

Ils parlèrent de la campagne, et Michel secoua la tête.

— Le thème de l’anti-immigration est si populaire.

— Tu crois que les yonsei sont racistes ?

— Ils auraient du mal, compte tenu de leurs propres origines mélangées. À mon sens, il s’agit purement et simplement de xénophobie. C’est de l’indifférence aux problèmes de la Terre, la crainte d’être submergés. Jackie se contente d’exprimer tout haut la peur que tout le monde éprouve déjà. Pas la peine d’être raciste pour ça.

— Mais toi tu es bon.

— Pff, comme la plupart des gens, soupira Michel.

— Tu parles ! s’exclama Maya qui le trouvait parfois trop optimiste. Qu’il s’agisse ou pas de racisme, ça pue. La Terre louche sur toute notre surface habitable et, si nous claquons la porte, il est probable qu’ils reviendront avec un bélier. Les gens ne veulent pas croire que ça pourrait arriver, mais si les Terriens sont suffisamment désespérés, ils ne nous demanderont pas notre avis pour venir, et si nous essayons de les empêcher de se poser, il y aura de la bagarre. En moins de deux ce sera la guerre, et pas sur Terre ou dans l’espace, non : ici, sur Mars. Ça nous pend au nez. Les gens de l’ONU essaient bien de nous mettre en garde. Mais Jackie ne veut rien entendre. Elle s’en fiche. Elle brandit l’étendard de la xénophobie à son profit.

Michel la regardait avec des yeux ronds. C’est vrai ; elle était censée ne plus haïr Jackie, mais certaines habitudes avaient la vie dure. D’un geste, elle balaya tout ce qu’elle venait de dire, la politicaillerie hallucinatoire, maligne, du Grand Canal.

— Ses intentions sont peut-être excellentes, dit-elle comme pour s’en persuader. Si ça se trouve, elle ne veut que le bien de Mars. Mais elle se trompe quand même, et il faut l’empêcher de nuire.

— Elle n’est pas seule en cause.

— Je sais. Il faut que nous réfléchissions à un moyen d’action. Enfin, ne parlons plus d’eux. Essayons de repérer l’île avant l’équipage.

 

Ils arrivèrent en vue de l’île deux jours plus tard. Comme ils s’en approchaient, Maya découvrit avec ravissement que Moins-Un n’était pas du tout dans le style du Grand Canal. Oh, il y avait des petits villages de pêcheurs aux maisons blanches, mais elles avaient l’air faites à la main, et ne possédaient même pas l’électricité. Sur les falaises au-dessus, des groupes de maisons se dressaient dans les arbres, des petits villages dans les airs. L’île était occupée par des farouches et des pêcheurs, leur dirent les marins. Le sol était nu sur les pointes de terre, vert dans les vallées cultivées. Des collines de grès ambré s’enfonçaient dans la mer, en alternance avec des petites baies sablonneuses, totalement dénudées en dehors des joncs agités par le vent.

— Ça a l’air si vide, remarqua Maya alors qu’ils contournaient la pointe nord puis le rivage ouest. Ils ont vu des images de ça sur Terre. Voilà la raison pour laquelle ils ne nous laisseront jamais leur claquer la porte au nez.

— Oui, acquiesça Michel. Tu as vu comment l’habitat est regroupé ? Ce sont les gens de Dorsa Brevia qui ont rapporté ce modèle de Crète. Tout le monde vit dans les villages et travaille dans les champs pendant la journée. Ce qui a l’air désert est en fait exploité, pour permettre à ces petits villages de vivre.

Il n’y avait pas de port à proprement parler. Ils entrèrent dans une baie peu profonde surplombée par un petit village de pêcheurs, et jetèrent l’ancre, qui resta distinctement visible sur le sable, par dix mètres de fond. Ils empruntèrent le dinghy de la goélette pour aller à terre, dépassant quelques grosses corvettes et plusieurs bateaux de pêche mouillés plus près de la plage.

De l’autre côté du village, quasi désert, un arroyo sinueux menait dans les collines, jusqu’à un canyon encaissé, après quoi une piste montait et descendait comme des montagnes russes vers le plateau, au-dessus. Sur cette lande accidentée, d’où la mer était visible de toutes parts, de grands chênes avaient été plantés longtemps auparavant. Certains étaient festonnés d’escaliers et de coursives, et des petites cabanes rondes étaient perchées dans les branches. En voyant ces maisons dans les arbres, Maya pensa à Zygote, et elle ne fut pas surprise d’apprendre que parmi les habitants de premier plan de l’île se trouvaient plusieurs ectogènes de Zygote – Rachel, Tiu, Simud, Emily. Ils étaient venus nicher ici, selon un mode de vie dont Hiroko aurait été fière. On disait même qu’ils la cachaient, avec les colons perdus, dans une plantation de chênes où ils avaient toute la place de vaquer à leurs occupations sans crainte d’être découverts. Quand elle regardait autour d’elle, Maya se disait que c’était au moins aussi plausible que n’importe laquelle des rumeurs qui couraient à son sujet. Enfin, il n’y avait pas moyen de savoir, et quelle importance de toute façon ? Si Hiroko avait décidé de vivre cachée, comme elle avait dû le faire si elle était en vie, il était inutile de chercher l’endroit où elle se terrait. Maya ne comprenait pas pourquoi cela obsédait tout le monde, et ça ne datait pas d’aujourd’hui. Elle n’avait jamais rien compris à Hiroko.

L’extrémité nord de l’île Moins-Un était moins mamelonnée que le reste et, en redescendant dans la plaine, ils repérèrent les bâtiments consacrés aux Olympiades. Ils avaient un aspect délibérément grec : un stade, un amphithéâtre, une plantation sacrée de séquoias monumentaux, et, sur un promontoire surplombant la mer, un petit temple à colonnes fait d’une pierre blanche qui ressemblait à du marbre : de l’albâtre, ou du sel couvert de diamant. Des campements temporaires de yourtes avaient été érigés sur les collines, au-dessus. Des milliers de gens grouillaient autour de cet endroit ; sans doute une bonne partie de la population de l’île et pas mal de visiteurs du bassin d’Hellas – les jeux étaient encore une affaire essentiellement locale. Ils furent donc surpris de trouver Sax dans le stade. Il aidait à prendre des mesures pour les épreuves de lancer. Il les serra sur sa poitrine en hochant la tête selon son habitude.

— Annarita lance le disque, aujourd’hui, dit-il. Ça devrait être bien.

C’est ainsi que Maya et Michel passèrent ce bel après-midi avec Sax, sur la piste, ce qui leur permit de suivre les épreuves de près et de tout oublier en dehors de l’instant présent. La discipline préférée de Maya était le saut à la perche. Ça la fascinait complètement. Plus que les autres sports, il illustrait pour elle les possibilités offertes par la gravité martienne. Cela dit, il fallait manifestement une technique formidable pour l’exploiter, pour maîtriser la course bondissante avec l’interminable perche, la pose précise de la pointe oscillante, le décollage, la traction, le saut proprement dit, les pieds pointés vers le ciel, puis le catapultage dans l’espace, alors que la perche flexible projetait le sauteur tête en bas à une hauteur vertigineuse, enfin le retournement presque complet au-dessus (ou non) de la barre, et la longue chute sur un matelas d’aérogel. Le record martien était de quatorze mètres environ. Le jeune homme qui sautait à présent, le gagnant de la journée, tenta de franchir la barre des quinze mètres mais il échoua. Quand il redescendit du matelas d’aérogel, Maya se rendit compte à quel point il était grand, avec des épaules et des bras puissants, mais d’une minceur qui frisait la maigreur. Les perchistes féminines qui attendaient leur tour lui ressemblaient beaucoup.

Tous les sportifs étaient comme ça, grands, minces, les muscles durs. La nouvelle race, se dit Maya, qui se sentait faible, petite et vieille. L’Homo martial. Par bonheur, elle avait de bons os et se tenait encore bien, sans quoi elle aurait eu honte de marcher parmi de telles créatures. Elle regarda, inconsciente de sa grâce provocante, Annarita, la lanceuse de disque que leur avait indiquée Sax, tourner sur elle-même, accélérer, catapulter le disque. Elle était très grande, avec un torse long, large, des épaules profilées, et des grands dorsaux qui faisaient comme des ailes sous ses bras ; de beaux seins, moulés par le maillot, des hanches étroites mais des fesses fortes, rondes, de longues cuisses surpuissantes… Une belle bête, vraiment, et si forte, même s’il était clair que c’était la vitesse de sa rotation qui propulsait le disque à cette distance.

— Cent quatre-vingts mètres ! s’exclama Michel, souriant. Ce qu’elle doit être heureuse !

Elle avait l’air très contente, en effet. Tous se concentraient intensément au moment de l’effort, puis se redressaient et se détendaient, ou essayaient de se détendre, s’étiraient, plaisantaient entre eux. Il n’y avait pas d’officiels, pas de score, rien que des bénévoles comme Sax. Les gens apportaient leur aide aux épreuves auxquelles ils ne participaient pas. Le départ des courses était donné par un coup de pistolet. Le temps était chronométré à la main, annoncé à haute voix et inscrit sur un écran.

Les poids avaient encore l’air très lourds, pas faciles à lancer. Les javelots mettaient une éternité à toucher le sol. Les sauteurs en hauteur ne dépassaient pas les quatre mètres, à la grande surprise de Maya et de Michel. Le record du saut en longueur était de vingt mètres. La vision des sauteurs agitant les membres pendant un saut qui durait quatre ou cinq secondes et traversait une grande partie du terrain était des plus singulières.

Le départ des courses fut donné à la fin de l’après-midi. Comme dans les autres disciplines, les hommes et les femmes s’affrontaient, tous vêtus du même maillot une pièce.

— Le dimorphisme sexuel semble particulièrement atténué chez ces gens, fit Michel en observant un groupe à réchauffement. Les genres sont tellement moins marqués, pour eux. Ils font les mêmes travaux, les femmes n’auront jamais qu’un enfant, sinon aucun, ils pratiquent les mêmes sports, exercent les mêmes muscles…

Maya était fermement convaincue de la réalité de cette nouvelle race, mais cette idée lui arracha un petit ricanement :

— Alors pourquoi regardes-tu toujours les femmes ?

— Oh, je vois la différence entre les sexes, répondit Michel avec un sourire, mais je suis un vieux de la vieille. Ce que je me demande, c’est si eux, ils en sont capables.

Maya éclata d’un grand rire.

— Allons ! Regarde plutôt celui-ci – et celle-là. Les proportions, les visages.

— Ouais, ouais. Mais ce n’est plus la même chose quand même. Bardot et Atlas, si tu vois ce que je veux dire.

— Oh oui ! Ces gens-là sont beaucoup plus beaux.

Michel acquiesça. Il l’avait toujours dit, songea Maya ; sur Mars, il deviendrait évident qu’ils étaient tous de petits dieux et déesses, que leur vie devait se dérouler dans une joie sacrée… En attendant, la différence sexuelle sautait aux yeux. Pour elle, qui était de la vieille école, du moins… Tiens, et ce coureur, là-bas… Ah, une femme, mais avec de petites jambes courtes, robustes, des hanches étroites, la poitrine plate. Et l’autre, à côté d’elle ? Encore une femme ? Non, un homme ! Un sauteur en hauteur, aussi gracieux qu’un danseur, mais tous les sauteurs en hauteur avaient des problèmes : Sax marmonna quelque chose à propos de plante des pieds. Enfin, même si certains d’entre eux étaient un peu androgynes, on reconnaissait toujours leur sexe au premier coup d’œil.

— Tu vois ce que je veux dire, fit Michel, en constatant son silence.

— Un peu. Mais je me demande comment le regard que ces jeunes portent sur les choses a évolué. Ils ont mis fin au patriarcat, il faut donc, nécessairement, qu’il existe un nouvel équilibre social des deux sexes…

— C’est sûrement ce que diraient les gens de Dorsa Brevia.

— Alors je me demande si ce n’est pas le problème que pose l’immigration terrienne. S’il ne vient pas tant du nombre que de l’origine culturelle de tous ces Terriens. Beaucoup donnent l’impression de sortir du Moyen Âge, alors pour tous ces gigantesques Minoens, ces hommes et ces femmes qui partagent une telle ressemblance…

— Et un nouvel inconscient collectif.

— Sans doute. Les nouveaux arrivants ne peuvent pas s’en sortir. Ils s’entassent dans des ghettos ou des villes nouvelles, ils gardent leurs traditions, leurs liens avec l’ancien monde, ils détestent tout ici, et la xénophobie, la misogynie des vieilles cultures s’exercent à nouveau à l’encontre de leurs propres femmes mais aussi des filles indigènes.

Elle avait entendu dire qu’il y avait des problèmes à Sheffield et à Tharsis Est. De jeunes indigènes avaient donné du fil à retordre à des agresseurs immigrés qui n’en revenaient pas. Et parfois le contraire.

— Et les jeunes indigènes n’aiment pas ça. Elles ont l’impression qu’on a laissé entrer des monstres chez elles.

Michel fit la grimace.

— Les cultures terriennes étaient toutes fondamentalement névrotiques, et quand le névrotique affronte le sain, il en résulte généralement une aggravation de la névrose. Et les sujets sains ne savent pas quoi faire.

— Alors ils exigent qu’on mette fin à l’immigration. Au prix d’une nouvelle guerre.

L’attention de Michel fut attirée par le départ d’une autre course. Les coureurs allaient vite, mais pas deux fois et demi plus vite que sur Terre, malgré la différence de gravité. C’était le même problème que la plante des pieds des sauteurs en hauteur, à ceci près qu’il persistait tout au long de la course : les coureurs accéléraient tellement au départ qu’ils restaient presque accroupis, faute de quoi ils auraient décollé de la piste. Les sprinters restaient penchés en avant jusqu’au bout, les jambes jouant furieusement du piston. Sur les plus longues distances, ils finissaient par se redresser et se mettaient à battre l’air comme s’ils nageaient debout, tels des kangourous avançant une patte à la fois. Maya repensa à Peter et Jackie, les deux sprinters de Zygote, courant sur la plage, sous le dôme polaire. Ils avaient mis au point un style comparable.

Grâce à ces techniques, le record du cinquante mètres fut de quatre secondes quatre dixièmes, celui du cent mètres de huit secondes trois, le deux cents mètres se courut en dix-sept secondes un dixième, et le quatre cents mètres en trente-sept secondes neuf. Mais, dans tous les cas, le problème d’équilibre posé par la vitesse semblait empêcher les coureurs de se donner à fond comme Maya se rappelait l’avoir vu faire dans sa jeunesse.

Les courses plus longues s’effectuaient à grands bonds gracieux, similaires au trot martien, comme ils disaient à Underhill, où ils s’y étaient exercés sans grand succès dans leurs combinaisons étroites. On aurait dit qu’ils volaient. Une jeune femme mena presque tout le dix mille mètres, et elle avait encore assez de réserve pour accélérer sur toute la longueur du dernier tour, gazelle effleurant la piste par intervalles de plusieurs mètres, dépassant des coureurs qui semblaient se traîner alors qu’elle-même volait. C’était magnifique. Maya cria à s’en esquinter les cordes vocales. Elle se cramponnait au bras de Michel, elle se sentait étourdie, des larmes lui picotaient les yeux et en même temps elle riait ; c’était tellement étrange et merveilleux de voir ces nouvelles créatures, et pourtant aucune d’entre elles n’en avait conscience, aucune !

Elle aimait voir les femmes battre les hommes, ce qu’ils ne semblaient même pas remarquer. Si les hommes étaient meilleurs au sprint, les femmes remportaient un peu plus souvent les courses d’obstacles et de fond. D’après Sax, la testostérone allait de pair avec la force mais provoquait des crampes à la longue, ce qui était un handicap pour les efforts prolongés. La plupart des épreuves relevaient de la technique, de toute façon. Et puis on voyait ce qu’on voulait bien voir, se dit-elle. Sur Terre – ils auraient ri s’ils l’avaient entendue commencer une phrase par ces mots ; quoi, sur Terre ? – ils avaient toutes sortes de comportements bizarres et assez laids, mais pourquoi y penser quand un obstacle approchait et qu’on voyait un coureur arriver du coin de l’œil ? Vole, vole ! Elle hurla de plus belle.

À la fin de la journée, les athlètes dégagèrent un passage dans le stade et autour de la piste, et un coureur s’y engagea, tout seul, sous les acclamations de la foule. Nirgal ! Maya, qui commençait à avoir mal à la gorge, poussait des cris rauques, presque pénibles à entendre.

Les coureurs de cross étaient partis le matin de la pointe sud de l’île Moins-Un, entièrement nus, même les pieds. Ils avaient couru plus de cent kilomètres sur les landes très accidentées du centre de l’île, un réseau diabolique de ravins, de grabens, de pingos, d’alases, d’escarpements et d’éboulis. Rien de très profond, apparemment, de sorte que de nombreux chemins étaient possibles, ce qui en faisait plus une épreuve d’orientation qu’une course, mais le parcours était difficile sur toute sa longueur, et arriver en courant à quatre heures de l’après-midi devait être un exploit surhumain. Le second n’arriverait pas avant le coucher du soleil, disaient les gens. Aussi Nirgal fit-il un tour d’honneur, couvert de poussière, l’air épuisé, comme le rescapé de quelque désastre, puis il enfila un short, pencha la tête pour recevoir la couronne de laurier et donna une multitude d’accolades.

Maya fut la dernière à l’embrasser, et Nirgal eut un grand rire heureux en la voyant. Il avait la peau blanche de sueur séchée, et les lèvres gercées et crevassées, les cheveux poussiéreux, les yeux injectés de sang. Ses côtes, ses tendons saillaient sous sa peau, il semblait décharné. Il vida une gourde, refusa la seconde :

— Non, merci, je ne suis pas déshydraté à ce point. Je suis tombé sur un réservoir du côté de Jiri Ki.

— Alors, quel chemin as-tu pris ? lui demanda quelqu’un.

— Ne m’en parlez pas ! fit-il en riant, comme si c’était un souvenir effroyable.

Plus tard, Maya apprit que les différents trajets suivis par les concurrents n’étaient ni observés ni décrits. Ils demeuraient pour ainsi dire secrets. Ce genre de cross était populaire dans certains milieux, et Maya savait que Nirgal était un champion, sur les longues distances en particulier. Les gens parlaient de ses itinéraires comme s’il avait le don de téléportation. La distance était un peu courte pour lui, et il était d’autant plus content d’avoir gagné.

— Laissez-moi récupérer un peu, dit-il en s’asseyant sur un banc, et il suivit les dernières épreuves, l’air distrait et heureux.

Maya s’assit à côté de lui, le dévorant du regard. Il avait passé le plus clair de son existence dehors, en partie dans une coop farouche qui vivait de culture et de cueillette. C’était une vie que Maya avait peine à imaginer. Elle se le représentait plus ou moins dans des sortes de limbes, exilé dans un sous-monde au milieu de nulle part, survivant comme un rat ou une plante. Et il était là, épuisé mais hurlant de joie à l’arrivée avec photo d’un quatre cents mètres, exactement comme le Nirgal débordant de vie qu’elle avait rencontré en faisant le tour de Hell’s Gate, il y avait si longtemps. Des années glorieuses pour lui comme pour elle. Mais à le voir, il semblait peu probable qu’il en ait la même vision qu’elle. Elle se sentait envoûtée par son passé, par l’histoire, et il avait un autre but que l’histoire. Il avait mis sa destinée de côté comme un vieux livre, et maintenant il était là, dans l’instant, riant sous le soleil, après avoir battu toute une tribu de jeunes animaux sauvages à leur propre jeu, par son intelligence, son sens de Mars, son lung-gom-pa, ses jambes d’acier. Il avait toujours couru, elle les revoyait comme si c’était hier, Jackie et lui filant sur la plage après Peter. Les deux autres étaient plus rapides, mais il lui arrivait de passer la journée à faire le tour du lac, pour le plaisir.

— Oh, Nirgal !

Elle se pencha et embrassa ses cheveux pleins de poussière. Il la serra contre elle. Elle rit, regarda autour d’elle tous ces beaux géants qui s’exerçaient sur le stade, ces athlètes rougeoyant dans le soleil couchant, et elle se sentit reprendre sa place en elle-même. Nirgal avait ce pouvoir.

 

Plus tard, ce soir-là, après un festin en plein air dans la fraîcheur du soir, elle prit Nirgal à part et lui confia ses craintes, lui exposa les menaces de conflit entre la Terre et Mars. Michel était ailleurs, en train de parler avec des gens ; assis sur un banc, Sax leur faisait face et les écoutait en silence.

— Jackie et les caciques de Mars Libre ont adopté une ligne dure, mais ça ne marchera pas. Rien n’arrêtera les Terriens. Ça pourrait mener à la guerre, je te le dis. La guerre.

Nirgal la regarda un long moment. Il la prenait au sérieux, Dieu bénisse sa noble et belle âme. Maya le prit par les épaules, comme s’il était son propre fils, et le serra contre elle de toutes ses forces.

— Que crois-tu que nous devrions faire ? demanda-t-il.

— Mars doit rester ouverte. Nous nous battons pour ça, et je compte sur toi. Tu nous seras plus utile que n’importe qui. C’est toi qui as eu le plus d’impact pendant notre visite sur Terre. Tu es le Martien le plus important pour eux depuis cette visite. Ils écrivent toujours des livres et des articles sur toi, tu sais ? Le mouvement farouche devient très influent en Amérique du Nord et en Australie, et il commence à se répandre dans le monde entier. Les gens de l’île de la Tortue ont presque entièrement réorganisé l’Ouest américain ; il y a des dizaines et des dizaines de coops farouches, à présent. Ils t’écoutent. Et c’est pareil ici. Je me suis vraiment démenée. Nous venons de faire campagne contre eux tout au long du Grand Canal. Je crois leur avoir donné du fil à retordre, mais à présent, même Jackie est dépassée. Elle est allée trouver Irishka, et tu te doutes bien que les Rouges sont contre l’immigration. Ils pensent que ça les aidera à protéger leurs précieux cailloux. Alors Mars Libre et les Rouges se retrouvent dans le même camp pour la première fois du fait de ce problème. Ils seront très difficiles à battre. Mais s’ils l’emportent…

Nirgal hocha la tête. Il voyait où elle voulait en venir. Pour un peu, elle l’aurait embrassé. Elle resserra son étreinte, lui planta un baiser sur la joue, lui fourra son nez dans le cou.

— Je t’aime, Nirgal.

— Moi aussi, je t’aime, dit-il avec un rire léger, l’air un peu surpris. Mais, écoute, je ne veux pas m’embarquer dans une campagne politique. Non, je t’assure. Je suis d’accord : c’est important, et nous ne pouvons pas interdire l’immigration sur Mars. Nous devons aider la Terre à surmonter son problème démographique, c’est ce que j’ai toujours dit, même là-bas, quand nous y sommes allés. Mais je ne veux pas me retrouver embrigadé dans des institutions politiques. C’est au-dessus de mes forces. Je vous aiderai comme je l’ai toujours fait. Je couvre beaucoup de terrain, je vois des tas de gens. Je leur parlerai. Je vais recommencer à participer à des meetings. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir à ce niveau.

Maya hocha la tête.

— Ce serait merveilleux, Nirgal. C’est le niveau que nous voulons atteindre, de toute façon.

Sax s’éclaircit la gorge.

— Nirgal, tu as rencontré la mathématicienne Bao ?

— Non, je ne crois pas.

— Ah.

Sax replongea dans sa rêverie. Maya parla un moment des problèmes dont ils avaient discuté ce jour-là, Michel et elle, de l’immigration qui fonctionnait comme une sorte de machine à explorer le temps, en ramenant des îlots de passé dans le présent.

— C’était aussi le grand souci de John, et voilà : c’est arrivé.

Nirgal acquiesça.

— Nous devons avoir foi en l’aréophanie. Et dans la Constitution. Tous ceux qui arrivent ici doivent s’y conformer. Au gouvernement d’y veiller.

— Oui. Mais les gens, les indigènes, je veux dire…

— Une sorte d’éthique assimilationniste. Il faut que nous y fassions adhérer tout le monde.

— Oui.

— C’est bon, Maya. Je vais voir ce que je peux faire, dit-il en souriant, puis tout à coup la fatigue le submergea. On réussira peut-être une fois de plus, hein ?

— Peut-être.

— Il faut que j’aille me coucher. Bonne nuit. Je t’aime.

 

En quittant Moins-Un, ils mirent le cap au nord-ouest. L’île glissa sous l’horizon comme une Grèce antique de rêve, et ils se retrouvèrent à nouveau en pleine mer, au milieu des hautes et larges vagues huileuses. De forts vents dominants soufflèrent du nord-est durant toute la traversée, déchirant les crêtes d’écume qui faisaient paraître encore plus sombre l’eau violette. Ils avaient du mal à s’entendre dans le rugissement du vent et de l’eau, et étaient forcés de crier pour se faire comprendre. L’équipage renonça au langage et s’affaira à déployer le maximum de toile. L’IA du bateau assurerait les conséquences de leur enthousiasme. Les mâts-voiles s’étiraient ou se rétractaient à chaque coup de vent comme des ailes, de sorte qu’une composante visuelle accompagnait la cinétique invisible du vent telle que la percevait la peau tannée de Maya, debout à la proue, cambrée en arrière pour ne pas en perdre une miette.

Le troisième jour, le vent soufflait si fort que le bateau se changea en hydravion. La coque se souleva à la poupe et fila sur les vagues, faisant jaillir tellement d’embruns qu’il était impossible de rester sur le pont. Maya battit en retraite vers la première cabine, d’où elle pouvait admirer le spectacle par les hublots galbés. Quelle vitesse ! Les membres de l’équipage venaient parfois s’ébrouer, reprendre leur souffle et avaler une tasse de java. L’un d’eux dit à Maya qu’ils compensaient leur cap en fonction du courant d’Hellas.

— Cette mer est une merveilleuse démonstration de la force de Coriolis. Elle est ronde, et aux endroits où les vents dominants soufflent dans le même sens que la force de Coriolis, ça tourne autour de Moins-Un comme dans un immense trou d’évier. Si nous n’avions pas corrigé le cap, nous aurions touché terre à mi-chemin de Hell’s Gate.

Le vent se maintint et, à cette allure, il ne leur fallut que quatre jours pour traverser le rayon de la mer d’Hellas. Dans l’après-midi du quatrième jour, les mâts-voiles se déployèrent et la coque retomba sur l’eau, dans les vagues écumantes. La côte apparut soudain à l’horizon, au nord : le bord du grand bassin, pareil à une chaîne de montagnes mais sans pics, un rivage en pente, si gigantesque qu’on aurait dit la paroi intérieure d’un cratère ; ce qu’il était, d’ailleurs, mais tellement plus grand qu’un cratère normal qu’on en discernait à peine la courbure. Maya fut frappée par sa beauté particulière. Et comme ils se rapprochaient de la côte, puis la longeaient par l’ouest, vers Odessa (malgré la correction de cap, ils avaient accosté à l’est de la ville), elle vit, en grimpant dans les drisses, la plage que la mer avait créée : une large bande adossée à des dunes couvertes d’herbe, coupée çà et là par des torrents. Une belle côte, proche d’Odessa ; une partie de sa ville, donc.

Loin à l’ouest, les pics déchiquetés d’Hellespontus Montes se dressaient au-dessus des vagues, tout petits et très différents de la pente nord, lisse. Ils arrivaient. Maya grimpa plus haut dans les drisses. Et là, elle les vit, sur la paroi nord, les rangées supérieures de parcs et de bâtiments, le vert et le blanc, le turquoise et la terre cuite. Puis le vaste centre incurvé de la ville, semblable à un immense amphithéâtre tourné vers la scène, vers le port, apparut : le phare, la statue d’Arkady, la digue, les mille mâts de la marina, le fouillis de toits et d’arbres derrière le béton taché de la corniche au-dessus de la mer. Odessa.

Elle descendit des drisses comme un vieux loup de mer, ou presque, embrassa quelques matelots puis Michel avec un grand sourire, soûlée par le vent. Ils entrèrent dans le port et les voiles se rétractèrent dans les mâts comme un escargot dans sa coquille. Une fois dans la darse, ils suivirent une passerelle, puis les quais, traversèrent la marina et entrèrent dans le parc, sur la corniche. Ils étaient arrivés. Le trolley bleu brinquebalait toujours dans la rue, derrière le parc.

Maya et Michel suivirent la corniche main dans la main, regardèrent les vendeurs des rues, les petits cafés en plein air. Les noms ne leur disaient rien, ils avaient tous changé, mais c’étaient toujours des restaurants ; ils ressemblaient à ceux qu’ils avaient remplacés, et la ville montant terrasse après terrasse derrière le front de mer était exactement telle que dans leurs souvenirs.

— Voilà l’Odéon, et là le Sinter…

— C’est là que je travaillais pour Deep Waters. Je me demande ce qu’ils font tous, maintenant ?

— Le maintien du niveau de la mer doit en occuper pas mal. Il y a toujours des travaux à faire autour de l’eau.

— C’est vrai.

Ils arrivèrent au vieil immeuble d’habitation de Praxis. Ses murs disparaissaient presque sous le lierre, le stuc blanc avait jauni, les persiennes bleues étaient délavées. Il aurait mérité un bon coup de peinture, dit Michel, mais Maya l’aimait comme ça : vieux. Là, au deuxième étage, elle repéra la fenêtre, le balcon de leur cuisine, et Spencer à côté. Spencer, qui devait être chez lui.

Ils franchirent le seuil, firent connaissance avec le nouveau concierge. Et Spencer était bien là. Oui, mais il était mort l’après-midi même.

Mars la bleue
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